Nues + Sur le dessin

Interview sur RCF.FR

Le peintre et son modèle nu ***



Par J.-C.Vantroyen

Le Soir du 22/12/2020 à 14:54


Jacques Richard est à la fois écrivain (Petit traître, Le carré des Allemands, La femme qui chante) et peintre. Il donne cours aussi, de peinture et de dessin. Il a mêlé ses deux talents dans ce magistral petit livre de réflexion sur le rapport entre le peintre et son modèle. Il peint des femmes, nues, de face, en pied, grandeur nature. Il y a évidemment le regard du peintre et le regard du modèle. Se croisent-ils ? Que contemple le peintre ? Le corps nu, le visage et les yeux, l’ensemble, comme une forme à la fois vivante et abstraite ? Que regarde le modèle ? Le peintre, au-delà, en elle-même, rien ? Et pourquoi accepte-t-elle de poser nue, le modèle, jeune ou moins jeune ? Pour sentir le regard de quelqu’un sur son corps, « un regard qui ne serait ni neutre ni déterminé par une de ses fonctions habituelles, médicales ou sexuelles » ?

« Parler de peinture n’a rien à voir avec peindre », écrit Jacques Richard. Mais ses idées, ses réflexions, ses expériences l’ont décidé à formuler ce qui se passe. Attraper au vol ce qui s’exprime dans le courant d’une séance, être à l’affût de ce qui se passe. « Avec l’urgence patiente d’un ours pêchant au bord de la rivière, donner à temps, sur le poisson qui passe, le coup de patte qui lui permettra de manger », dit-il. Quel est le sens de se donner à peindre ? Quel est le sens de peindre ? « Sans doute le désir est-il pour quelque chose dans ce type de peinture », confesse Jacques Richard. Qui ajoute : « Je peins les femmes parce que je les trouve belles. » Et encore : « La beauté nous dépasse et c’est une bonne raison de peindre. »

L’auteur écrit cela avec une immense simplicité. Il assume ses interrogations, il ne hâble pas, il est honnête. Il n’a pas réponse à tout, alors pas question de pontifier. Dans Sur le dessin, qui suit Nues, et qui est une série de pensées destinées à ses élèves, il conclut : « Il faudrait lire ces notes sur le mode du conditionnel. C’est le mode du peut-être et du doute qui devrait être celui de l’art puisque c’est celui de la vie. »

Élégant et pertinent.

Un coup de cœur du Carnet

https://le-carnet-et-les-instants.net/2020/11/28/richard-nues/


Jacques RICHARD, Nues, ONLIT, coll. « ONLIT Mini », 2020, 80 p., 8 €, ISBN : 9782875601261


« Nues, en pied et grandeur nature. De face », les yeux plongés dans ceux de l’artiste. Toiles de mêmes dimensions, supports de qualité identique, toujours de la peinture à l’huile. Pas de décor. Et un « travail d’un réalisme précis, mince et sans effets ». Voilà comment Jacques Richard a peint plusieurs femmes entrant dans la jeunesse ou la quittant, trop maigres ou trop charnues, rétives ou généreuses, inconnues ou familières, maniérées ou naturelles. De son regard parfois gêné et intransigeant, Richard les a dévisagées, contemplées sans désir, observées (face à face ou sur papier glacé) avec « l’urgence patiente d’un ours pêchant au bord de la rivière » ; il a guetté leur apparition et a reconstitué cette impression tout en fugitivité et subjectivité pour qu’elles demeurent « quelqu’un ». Une démarche pleine qui s’inscrit dans la durée, le respect et la méthode.


Devant son œuvre de peintre et d’écrivain, un constat s’impose : il y a quelque chose d’impeccable chez Richard. Rien d’académique ni d’attendu, non ; tout tombe « simplement » parfaitement. Il est ce gant en cuir souple de mots ou de traits, qui épouse délicatement la main du Réel, lui offre de nouveaux contours fidèles, la masque tout en la révélant, lui confère une épaisseur particulière et unique. Dans son travail pictural, Richard se revendique d’ailleurs d’une tradition réaliste, «[s]ans sécheresse, mais sans concessions. Certainement pas au goût, bon ou mauvais, ni à un “style” quel qu’il soit. Pas neutre non plus, pas plat. Nu. Comme la femme devant [lui] ». Sans faux-semblants ni impostures : il ne (se) cache pas, ne (se) gonfle pas, ne (se) dérobe pas ; Richard assume. Et il est en recherche, sans trop discerner les contours de sa quête qui peut demeurer imprécise, les intentions s’éclairant quelquefois avec le temps. Et c’est sa dynamique propre d’appropriation et de distanciation que Richard encre dans les pages de Nues, un essai personnel (qui ne s’alourdit pas du nom) rassemblant des réflexions et des interrogations traversantes.


Élégance, sobriété, intelligence, honnêteté. Profondeur. Chaque rencontre artistique avec Richard déconstruit les évidences et décale légèrement les perspectives. Par ses mots délibérément non ampoulés, il permet ici au non-initié d’appréhender une démarche de peintre, d’envisager la complexité des relations (la triangulation artiste–modèle-spectateur, celle plus magrittienne objet-représentation–dénomination, etc.), de sonder l’évolution de la trace. La reproduction de certains (morceaux de) portraits en regard de ses descriptions textuelles termine de convaincre de la puissance et de la cohérence mystérieuse de son univers.


Nues est suivi de Sur le dessin, un bref recueil d’aphorismes dédié à ses élèves. Modestement, Richard questionne les lignes, recrée des ponts entre analyse et émotion, fait correspondre les mouvements de la danse et du dessin, souligne la grâce du geste étranger et du trait qui s’échappe, prouve à nouveau que le tout est plus que la somme des parties, affirme que dessiner mal et voir mal c’est dessiner et voir quand même, refuse le style et accepte de ne pas tout contrôler. Pour finalement pondérer : « L’art n’est pas le seul fruit de la sensibilité ou de l’instinct, mais aussi de la pensée et de la raison. C’est dans leur rencontre que la création trouve son équilibre. » Une leçon non pontifiante, mais magistrale.


Samia Hammami

Avis des lecteurs



Je viens de finir ton dernier livre. Fantastique ! J’ai adoré aussi tout ce que tu dis sur le dessin. Ce livre devrait être lu dans toutes les écoles d’art qui enseignent le dessin .

Bises et bravo mon Jacques ! Quelle fierté pour moi de te compter parmi mes amis!!!


J. Durieux, dessinateur, illustrateur



" Nues " : la puissance des mots pour dire, le dessin et la puissance des traits  pour y mettre les mots JUSTES.

Le corps pense m'a mis les larmes aux yeux,  car c'est vraiment "Ça", plaisir étrange du " lâcher prise" (...)
Les mots également pour dire cette relation " étrange " au modèle , des mots justes pour dire ce qu'elle suscite , provoque ou pas ... encore que ...

Te dire, Jacques, tout mon admiration pour ce " petit " livre, ô combien parlant !

C'est le genre de petit livre dans lequel je vais me replonger, le garder sur moi un peu comme dans mon enfance  lorsque je lisais les livres de la Comtesse de Ségur et que je relisais inlassablement certains passages, ne pouvant les délaisser !


M.M. S.